16 décembre 2021

Lors de son Assemblée plénière du 15 décembre 2022, sous la présidence de Madame Nora Back, la Chambre des salariés (CSL) a adopté son avis sur le projet de loi concernant le regroupement sous forme sociétaire des médecins et professionnels de santé.

Un avant-projet de loi élaboré par l’AMMD !

Sous le faux prétexte que les professions de médecins et de professionnels de santé ne peuvent être rendues plus attrayantes que par le biais d’un regroupement sous forme sociétaire sans qu’une telle prétention ne soit documentée par des études et chiffres vérifiables, le Gouvernement a repris un texte, élaboré par l’AMMD voire une société d’avocats, taillé sur mesure et qui n’a pour ambition autre que de satisfaire les intérêts des médecins libéraux.

La finalité du lucre d’une société, qu’elle soit de nature commerciale ou civile, n’est pas compatible avec les principes essentiels de la déontologie médicale !

Les principes de déontologie médicale comme le désintéressement du médecin qui consiste à se détacher de tout intérêt personnel en mettant in medias res l’état de santé du patient sont en contradiction flagrante avec la finalité même d’une société, qu’elle soit civile ou commerciale, dans laquelle le médecin s’associe et dont la finalité consiste, de par sa nature, à faire des bénéfices. Voilà pourquoi la CSL ne saurait partager l’opinion des auteurs du projet de loi comme quoi la profession de médecin serait comparable avec celle des avocats, experts-comptables ou architectes.

La santé n’est pas un bien marchand soumis aux règles de la concurrence du marché !

À part une obligation d’intérêt général consistant à assurer les services de permanence et d’urgence, un autre aspect qui dissocie les professions de médecins et de professionnels de santé des autres professions précitées est la nature de la prestation qu’ils dispensent.

La santé, contrairement aux prestations des autres professions libérales, n’est pas un bien marchand et l’acte médical qui est à la base ne peut pas être considéré comme une denrée, une marchandise échangée pour une contrepartie financière. Le médecin ne « vend » pas des ordonnances ou des soins, ou des certificats. Le « contrat de soins » qui est à la base de la responsabilité médicale n’est pas une convention commerciale, ni un marché.

C’est un contrat tacite, où ce qu’apporte l’un n’est pas l’équivalent de ce qu’apporte l’autre. Le médecin s’engage à donner les soins adéquats qui ne sont pas définis par avance et qui diffèrent selon les circonstances.

Par ailleurs, les tarifs pour les actes médicaux et techniques des médecins et professionnels de santé ne sont pas fixés selon les règles du marché en fonction de l’offre et de la demande, mais par conventionnement d’un commun accord avec la CNS. La finalité du conventionnement consiste justement à permettre l’accès universel aux soins de tous les assurés en assurant une prise en charge de leur coût, quelle que soit leur situation de leur revenu ; ceci tout en garantissant simultanément une rétribution convenable aux prestataires en question. S’il n’est pas immoral que le gain soit le moteur d’une entreprise commerciale, la rentabilité ne peut être l’objectif principal des médecins et professionnels de santé.

La possibilité d’acquérir des appareils et équipements médicaux jusque-là réservés aux établissements hospitaliers dans des cabinets médicaux privés risque d’entraîner le déconventionnement et, par là, de mettre en question l’accès universel aux soins de santé

Dans deux affaires, le tribunal administratif a décidé suite à un arrêt de la Cour constitutionnelle que la loi modifiée du 29 avril 1983 concernant l’exercice des professions de médecin, de médecin-dentiste et de médecin-vétérinaire renvoyant à un règlement grand-ducal pour fixer une liste d’appareils interdits d’acquisition sans fournir dans la loi même des éléments pouvant permettre de déterminer de manière suffisamment spécifique les caractéristiques substantielles des équipements ainsi visés, n’est pas conforme à la Constitution. De la sorte, la décision ministérielle refusant au requérant l’autorisation d’acquérir respectivement un scanner et un IRM pour son centre médical a été annulée pour défaut de base légale.

Or, permettre aux médecins libéraux d’acquérir des appareils et équipements médicaux jusque-là réservés aux établissements hospitaliers dans des cabinets médicaux privés aura comme effet que d’une part, la CNS sera obligée de continuer à financer les scanners installés dans les établissements hospitaliers sur base du principe de la budgétisation malgré le risque que de plus en plus de patients recourent, pour diverses raisons, aux équipements médicaux situés dans les cabinets privés et d’autre part, que le coût pour l’assurance maladie augmentera du fait de la prolifération de tels équipements médicaux dans des cabinets privés générant ainsi une augmentation des prestations en relation avec ces équipements, avec le risque que les mêmes équipements dans les établissements hospitaliers seront progressivement abandonnés.

Comme le tribunal a néanmoins décidé que le principe d’égalité de traitement entre médecins pratiquant en milieu hospitalier et ceux pratiquant en milieu extrahospitalier ne joue pas en ce qui concerne la prise en charge financière des équipements médicaux litigieux, il en résulte que pour rentabiliser les équipements en milieu extrahospitalier financés par leurs propres soins, les médecins plaideront pour une libre tarification des prestations et donc pour une sortie du conventionnement et de la tarification avec la CNS lesquels ont assuré jusqu’aujourd’hui l’accès universel des assurés aux soins de santé.

Le déconventionnement aura pour effet qu’on aboutira à une médecine à deux vitesses où les assurés bien lotis se feront traiter dans des cabinets médicaux à leurs frais ou par le biais d’assurances complémentaires coûteuses et le reste des assurés dans les structures hospitalisées avec des conséquences néfastes pour le financement et la rentabilité des équipements médicaux y installés et pour la planification hospitalière à moyen et à long terme.

La conséquence qui en résultera est que le système obligatoire d’assurance maladie perdra de sa raison d’être au profit d’assurances privées complémentaires et mettra en question l’accès universel aux soins de santé.

Afin d’éviter un tel scénario, la CSL exhorte le législateur de modifier l’article 19 de la loi modifiée du 29 avril 1983 concernant l’exercice des professions de médecin, de médecin-dentiste et de médecin-vétérinaire en fixant des critères objectifs, légitimes et vérifiables pour interdire ou limiter certains équipements médicaux en milieu extrahospitalier.

Une externalisation des soins de santé du milieu hospitalier vers le milieu extrahospitalier ne peut se faire que sous la responsabilité et la gestion des établissements hospitaliers

Pour autant qu’elle se fasse en faveur de l’intérêt du patient, une externalisation/déconcentration de services médicaux du milieu hospitalier vers le milieu extrahospitalier ne peut avoir lieu que si ces derniers restent sous la responsabilité et la gestion des quatre centres hospitaliers qui existent dans notre pays.

Dans ce contexte, la salarialisation des médecins serait le meilleur moyen pour assurer, d’une part, un bon fonctionnement et une organisation efficiente entre les établissements hospitaliers et les centres médicaux externalisés et d’autre part pour offrir aux médecins et autres professionnels de santé des conditions de travail et de rémunération attractives en harmonie avec leur vie privée (work-life balance). L’intérêt doit tourner autour de la sauvegarde et de la multidisciplinarité des soins dans les infrastructures hospitalières lesquelles constituent le principal du système de santé publique. La question de savoir si des soins peuvent être dispensés en dehors de ces structures est une question accessoire qui doit être appréciée en fonction de la fonctionnalité et de l’opérabilité du système hospitalier.

La CSL regrette dans ce contexte l’absence de lien faite entre le présent avant-projet de loi et la loi relative à l’organisation hospitalière alors que le projet risque d’avoir un grand impact (négatif) sur cette dernière.

Du fait que le système actuel de santé publique nécessite d’être développé encore davantage compte tenu de la pandémie Covid-19 que nous vivons actuellement tant en ce qui concerne les infrastructures hospitalières que les différentes professions y exercées, la CSL demande le retrait sans délai du présent avant-projet de loi et une discussion approfondie avec les partenaires sociaux sur l’orientation et la finalité de notre système de santé publique.

 

Communiqué de presse
Avis de la CSL relatif à cet avant-projet de loi