Publié le 1er octobre 2025

Mieux former et qualifier les salariés d’aujourd’hui et de demain

La présente prise de position de la Chambre des salariés du Luxembourg (CSL) vise à contribuer activement au débat public et institutionnel sur l’avenir de la formation professionnelle initiale et continue.

En tant que partenaire du gouvernement dans la formation professionnelle et acteur engagé dans le développement des compétences et des qualifications tout au long de la vie, la CSL souhaite proposer des leviers d’amélioration du système actuel, en s’appuyant sur les priorités européennes en matière de formation, les réalités du terrain, les besoins des salariés et les exigences du monde économique.

Ce document a pour ambition de nourrir les réflexions des décideurs politiques, des partenaires sociaux et des professionnels de la formation, en proposant quelques pistes concrètes (non exhaustives), réalistes et ambitieuses pour une réforme durable de la formation professionnelle au Luxembourg.

I. Formation professionnelle initiale : pour une offre plus accessible, attractive et évolutive

Réformer le cycle inférieur de l’enseignement secondaire, multiplier les stages de découverte

La CSL soutient la volonté de réformer la voie de préparation (7P, 6P, 5P), mais estime qu’il est nécessaire de réformer le cycle inférieur dans son intégralité, y compris la voie d’orientation (7G, 6G, 5G).

Afin de garantir une meilleure préparation aux classes supérieures et à la formation et afin de permettre aux jeunes de choisir la formation qui correspond au mieux à leurs attentes, il importe de :

  • repenser les critères de promotion. L’objectif étant d’éviter une orientation ou un choix par défaut en classe de 5e des élèves à cause du non-respect des critères d’accès,
  • introduire des heures dédiées à l’orientation professionnelle dans le programme du cycle inférieur de l’enseignement secondaire permettant notamment l’emploi d’outils d’orientation, comme le basic-check,
  • généraliser les stages de découverte dans tous les lycées. Ces expériences concrètes aideraient les jeunes à mieux s’orienter et à construire un projet professionnel motivé et
  • examiner la pertinence pédagogique d’une année supplémentaire au cycle inférieur.

Optimiser les interactions entre les acteurs « Lycée-Apprenti-Entreprise »

La CSL propose de digitaliser les carnets d’apprentissage et de les héberger sur une plateforme digitale sécurisée et dédiée à la formation professionnelle initiale. Cette plateforme permettrait aux parties prenantes « Lycée-Apprenti-Entreprise » d’échanger sur tous les sujets importants tels que le carnet d’apprentissage et le suivi des apprentis (notes scolaires ou patronales, absences, …).

Valoriser le rôle du tuteur en entreprise

Le tuteur-formateur joue un rôle clé dans la réussite de l’apprentissage. La CSL recommande une reconnaissance officielle de ce rôle et une rémunération ou prime dédiée pour valoriser cet engagement.

Créer un statut d’apprenti handicapé

Afin de permettre aux apprentis à besoins spécifiques de pouvoir bénéficier des avantages similaires à ceux dont dispose un salarié handicapé (mesures d’insertion spécifiques, congé supplémentaire, etc.), nous demandons l’introduction d’un statut d’apprenti handicapé. Les aménagements raisonnables dont peut bénéficier l’apprenti handicapé se limitent à l’enseignement à l’école (supports de cours adaptés, outils d’aide, temps supplémentaire pour les épreuves,…). Il faudrait que l’enseignement en entreprise-formatrice puisse également être adapté aux besoins de l’apprenti. Le diplôme à l’issue de la formation serait le même et ouvrirait les mêmes droits.

Revaloriser et harmoniser les indemnités d’apprentissage

Pour rendre l’apprentissage plus attractif, la CSL propose une hausse et une harmonisation des indemnités d’apprentissage en formation initiale.

Faciliter les parcours évolutifs et garantir l’accès au niveau de la formation supérieure

La CSL réaffirme l’importance d’un modèle scolaire en escalier, permettant à chaque apprenant de progresser à son rythme. Pour ce faire, il faut :

  • continuer de compléter l’offre des formations CCP pour permettre à tout un chacun d’effectuer un véritable choix au niveau de sa formation et de décrocher une première qualification formelle,
  • améliorer les passerelles entre les différents niveaux de qualification de la formation professionnelle et l’accès vers les formations d’autres ordres d’enseignement, en adaptant les programmes et les bases légales correspondantes, mais aussi en multipliant les filières francophones et anglophones, afin de tenir compte des réalités linguistiques sur le terrain. Pour une offre multilingue, il est essentiel de bien préparer le terrain, de renforcer les effectifs enseignants qualifiés, d’investir dans les infrastructures et de traduire les supports pédagogiques.
  • garantir l’accès aux études supérieures des détenteurs d’un diplôme de technicien à travers l’intégration systématique des modules préparatoires aux études supérieurs et ce en les adaptant aux besoins de chaque formation au cas par cas, et
  • créer une offre de formation professionnelle supérieure sous contrat d’apprentissage allant du niveau 5 au niveau 8 du cadre luxembourgeois des qualifications reconnues au niveau national et à l’étranger.
    Adapter les programmes et outils de formation aux mutations du monde du travail
    Face aux évolutions technologiques, écologiques et organisationnelles, il est important d’accélérer la méthode et le processus d’élaboration ou de réforme des programmes de formation. A cette fin, la CSL propose :
  • d’appuyer les équipes curriculaires avec l’aide de professionnels en ingénierie de formation pour professionnaliser et accélérer les processus d’élaboration ou de mise à jour de curricula, et
  • de mettre en place une veille permanente des programmes de formation des pays qui ont des systèmes de formation professionnelle initiale similaire au notre pour suivre les évolutions et s’inspirer des bonnes pratiques (ex. Suisse, Allemagne, …).
  • d’équiper les apprenants en formation professionnelle des outils, par exemple informatiques, indispensables au développement des compétences professionnelles visées par les programmes.

II. Formation professionnelle continue : pour une montée en compétences et en qualification accessible à tous

Instituer un comité tripartite à la formation professionnelle continue

La CSL recommande la mise en place d’un comité tripartite dédié à la formation continue qui soit composé de manière équilibrée de représentants des salariés, des employeurs et des pouvoirs publics. Ce comité devrait être doté d’un mandat clair, incluant notamment :

  • la définition des priorités stratégiques,
  • le suivi de la mise en oeuvre des politiques de formation,
  • l’évaluation régulière des dispositifs existants et
  • la formulation de propositions de réforme.

Afin de garantir la transparence et l’efficacité du dialogue social, la CSL préconise l’organisation de consultations régulières avec l’ensemble des parties prenantes, ainsi que la publication systématique des avis et recommandations du comité.

Enfin, la composition et le fonctionnement du comité devront permettre de prendre en compte les spécificités des différents secteurs d’activité, afin d’assurer une réponse adaptée aux besoins de l’ensemble des acteurs concernés.

Instaurer un droit individuel à la formation tout au long de la vie

La CSL propose d’introduire un principe général conférant à chaque salarié un véritable droit individuel à la formation continue tel que stipulé dans l’article 1 du Socle européen des droits sociaux. Et pour réaliser ce droit, un certain nombre de dispositifs devraient être mis en place, modifiés, voire davantage développés. Pour ce faire, il faudrait notamment :

  1. Responsabiliser et sensibiliser les employeursLes employeurs doivent être pleinement impliqués dans l’effort de formation. Ils devraient être tenus de prévoir qu’une partie du temps de travail de chaque salarié soit consacrée à la formation. Cette mesure est bénéfique pour l’entreprise elle-même, car un personnel bien formé constitue un avantage compétitif indéniable. Une telle mesure devrait s’inscrire dans une logique de gestion prévisionnelle des compétences afin de sécuriser les parcours professionnels des salariés et de doter les entreprises des compétences requises.
  2. Lever les freins à la formationPour que chaque individu puisse se former, trois conditions doivent impérativement être réunies :
    – le temps : réformer le congé individuel de formation pour permettre aux salariés de suivre des formations longues ou qualifiantes (80 jours sur toute une carrière professionnelle plafonnés à 20 jours sur une période de deux ans est loin d’être suffisant),
    – le financement : instaurer des aides financières à l’attention des salariés pour couvrir les frais de formation encourus, et
    – l’orientation : proposer un service d’orientation personnalisé de qualité pour accompagner les projets de montée en compétences ou de reconversion des adultes.

Renforcer la reconnaissance des diplômes étrangers et la validation des acquis de l’expérience (VAE)

Il importe d’améliorer la procédure de reconnaissance des diplômes acquis à l’étranger (transparence, délais, décisions, mesures de compensation), afin d’optimiser l’emploi des compétences disponibles sur le territoire luxembourgeois. Dans cette optique, il conviendrait entre autres de :

  • garantir l’équivalence entre les diplômes académiques et les diplômes professionnels se situant au même niveau du cadre luxembourgeois des qualifications,
  • étendre substantiellement les cours de langues pour ce public et
  • proposer des stages d’adaptation et/ou des formations complémentaires.

La VAE doit quant à elle devenir un levier central dans les parcours professionnels car elle permet de reconnaître les compétences acquises en dehors des parcours formels. A cette fin, il conviendrait de faciliter et d’adapter les procédures et les outils actuels qui pour beaucoup constitue un frein, voire un obstacle infranchissable. La CSL recommande de repenser la démarche en proposant un accompagnement obligatoire de qualité avant d’entamer la procédure, afin d’aider et d’orienter les candidats dans l’identification ou la validation du diplôme par rapport aux objectifs visés et aux compétences détenues par ces derniers.

Ensuite, la procédure de validation devrait réellement être centrée sur les compétences en proposant une procédure de validation adaptée aux différents publics.

Ainsi, plusieurs options de procédure de validation pourraient être proposées au candidat. Le candidat pourrait avoir le choix entre par exemple :

  • une procédure écrite similaire à ce qui existe aujourd’hui mais en simplifiant et optimisant les formulaires existants, ou
  • une mise en situation pour montrer ses compétences sans que cela ne prenne la forme d’un examen scolaire classique, ou
  • un projet à mener à bien avec présentation de ce dernier et/ou de ses résultats.

Dans ce cadre, la CSL estime que les candidats engagés dans une démarche VAE devraient pouvoir bénéficier d’un congé spécial leur permettant de mener à bien leur projet (soit par le biais du congé individuel de formation réformé ou d’un congé dédié).

Étendre les possibilités de qualification officielle

La CSL propose d’élargir les possibilités de formation continue menant à une qualification officielle. A cette fin il conviendrait :

  • de généraliser l’apprentissage en cours d’emploi à toutes les formations professionnelles duales,
  • de proposer plus de formations diplômantes à tous les niveaux (y inclus des BTS, Bachelor ou Master) en horaires décalés (en soirée et/ou les weekends en journée),
  • de modulariser les parcours de formation initiale à tous les niveaux et donner ainsi la possibilité aux adultes de suivre ou de compléter les formations ou qualifications à leur rythme, de manière flexible (capitalisable dans le temps),
  • permettre aux candidats ayant obtenu une VAE partielle de compléter leur parcours en suivant les modules concernés en formation professionnelle initiale, et
  • de créer plus de centres de formation sectoriels (là où il y a une masse critique) à l’instar des centres de compétences dans l’artisanat avec une offre de formation modulaire menant à des qualifications officielles.

Mettre en place un « système qualité national »

Dans un contexte de transformation rapide des compétences et d’exigence croissante en matière de professionnalisation, il devient essentiel de garantir la qualité des prestations de formation continue. Cela permettrait de :

  • structurer et harmoniser les pratiques des organismes de formation autour de critères clairs et partagés qui favoriseraient la transparence, la comparabilité et la reconnaissance au niveau national, voire international,
  • renforcer la confiance des bénéficiaires (salariés, entreprises, institutions) dans la pertinence et l’efficacité des formations proposées,
  • assurer que les financements publics soutiennent des actions de qualité,
  • encourager l’amélioration continue, grâce à des contrôles réguliers et à l’intégration du retour d’expérience des participants et
  • valoriser les prestataires engagés, en leur offrant une reconnaissance officielle qui peut aussi favoriser leur rayonnement à l’international (Grande Région et au-delà).

Toutefois, il est essentiel de veiller à ne pas mettre en place un « système qualité » qui devienne une simple charge procédurale ou administrative. Il doit être conçu comme un levier d’amélioration réelle de la qualité pédagogique et centré sur l’impact des formations pour les apprenants.

Conclusion

La CSL réaffirme son attachement et sa disponibilité à dialoguer avec les partenaires institutionnels concernés afin d’examiner ces pistes (ou d’autres) et de coconstruire des solutions ambitieuses et réalistes.

Consciente que certaines des propositions avancées impliquent des investissements significatifs, la CSL tient à souligner qu’un système de formation professionnelle efficace et performant constitue un enjeu stratégique majeur pour les salariés, pour l’économie nationale et pour la compétitivité du pays.

Afin de garantir une mise en oeuvre durable de ces mesures, la CSL propose également de mettre en place un moyen de financement équitable, permettant de soutenir l’effort collectif en matière de formation et de développement des compétences. Cela pourrait par exemple prendre la forme d’un “fonds paritaire à la formation professionnelle continue” dont la gestion et les priorités seraient définies par le comité tripartite à la formation continue (à créer, comme proposé dans le présent document).