Quand parle-t-on de risques psychosociaux au travail ?

Les risques psychosociaux sont souvent résumés par simplicité sous le terme de « stress », qui n’est en fait qu’une manifestation de ce risque. Ils recouvrent en réalité des risques professionnels d’origine et de nature variées, qui mettent en jeu l’intégrité physique et la santé mentale des salariés et ont, par conséquent, un impact sur le bon fonctionnement des entreprises. On les appelle « psycho-sociaux » car ils sont à l’interface de l’individu (le « psycho ») et de sa situation de travail.

On peut poser les risques psychosociaux au travail comme des tensions mal régulées, par exemple, entre les objectifs fixés et les moyens alloués, entre les exigences du travail et les compétences détenues, entre les attentes de la hiérarchie et les attentes du travailleur…

Depuis toujours, la tension existe dans la relation de travail entre les projets de l’entreprise et ceux du salarié car ils sont en général, sauf exception, différents, voire divergents. C’est moyennant le travail de soutien de l’organisation, du management, des relations sociales internes, un soutien technique et un environnement agréable et sécurisé que se traduit, au travers de compromis plus ou moins équilibrés, dans la réalité quotidienne du salarié ce qui est consigné dans le contrat du travail. Ces équilibres une fois construits demeurent toujours relatifs car ils sont voués à évoluer, ne satisfaisant jamais l’ensemble des protagonistes sur l’ensemble de leurs critères. C’est ce qu’on appelle la régulation des tensions psychosociales.

Les facteurs des risques psychosociaux

Les facteurs de tension susceptibles de créer des risques psychosociaux peuvent être très nombreux et divers. On peut schématiquement les regrouper en quatre grandes catégories :

  • les facteurs liés aux relations de travail, aux difficultés avec les supérieurs hiérarchiques, les subordonnés, avec les collègues,
  • les facteurs liés aux exigences du travail, à la nature des tâches (monotonie, surcharge ou sous-charge de travail, fortes exigences liées à la cadence, à la précision des travaux et à la vigilance, tâches pénibles, dangereuses, perturbations incessantes, environnement physique défavorable : bruit, chaleur, manque d’espace…) ou à l’organisation du travail (horaires de travail ne permettant pas de récupération physiologique, exigences contradictoires, absence d’objectifs clairs, responsabilité liée à l’exécution de la tâche…)
  • les facteurs liés aux exigences des salariés vis à vis de leur travail, à la politique de ressources humaines (décalage entre le travail demandé et les valeurs de la personne, manque de sens, manque de reconnaissance du travail accompli, faibles perspectives professionnelles, sur ou sous-qualification, rémunération insatisfaisante, horaires de travail peu prévisibles et/ou nuisant à la vie personnelle…)
  • les facteurs liés à un vécu difficile des changements (environnement socio-économique difficile et concurrence accrue, incertitude sur l’avenir de l’entreprise, ou sur le propre avenir du salarié, stratégie peu claire, projets de changements, organisationnels ou technologiques, non concertés ou mal accompagnés…).

Une mauvaise régulation des tensions psychosociales peut entraîner des conséquences pour l’entreprise et générer des troubles auprès des travailleurs.

Les conséquences pour l'entreprise

Les effets immédiats et différés des risques psychosociaux sur la performance globale de l’entreprise, même s’ils ne sont pas immédiatement perçus comme directement liés, peuvent générer des coûts considérables à travers des déclarations d’incapacité de travail  plus nombreuses, des salariés plus nombreux à se déclarer inaptes, des rendements en baisse, un niveau de qualité défaillant, la perte de clientèle, les accidents du travail, les incidents et conflits plus nombreux entre salariés, avec la hiérarchie ou les clients, un turn-over grandissant, une attractivité réduite, une démotivation croissante…

Les effets sur l'individu

En effet, une charge psychosociale vécue comme intense par le travailleur s’exprime  de manière différente d’un individu à l’autre.

Voici les 5 types de risques les plus fréquemment liés à l’exposition à une charge psychosociale du travail importante : le stress lié au travail, les violences au travail, le harcèlement moral et sexuel, les addictions au travail et le burnout (épuisement professionnel).

1. Stress

La surcharge de travail, le manque de temps, l’absence d’autonomie, les conflits entre collègues ou avec le supérieur hiérarchique, sont quelques exemples de difficultés que l’on peut rencontrer au cours de son activité professionnelle. La définition de l’Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail de Bilbao est largement utilisée : « un état de stress survient lorsqu’il y a déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face. Bien que le processus d’évaluation des contraintes et des ressources soit d’ordre psychologique, les effets du stress ne sont pas, eux, uniquement de nature psychologique. Ils affectent également la santé physique, le bien-être et la productivité ».

2. Violence et aggressions

Quand on parle de violence sur le lieu de travail, il faut distinguer la violence externe à l’entreprise (violence ou même agressions exercées par des clients ou des usagers) de la violence interne à l’entreprise (il peut s’agir alors de harcèlement moral ou sexuel).

La violence externe se retrouve principalement dans deux types d’activités professionnelles :

  • dans les activités de service telles les transports en commun, l’hôtellerie, le travail au guichet où les contacts sont fréquents, contacts qui peuvent générer des tensions ou dégénérer en conflits ;
  • dans des activités impliquant la manipulation d’objets de valeur (activités bancaires, bijouterie, commerces, convoyages de fonds…).

La violence peut prendre des formes diverses qui vont de l’incivilité à l’acte violent, en passant par l’agression verbale.

La violence au travail fait l’objet de la convention relative au harcèlement et à la violence au travail signée le 25 juin 2009 par les partenaires sociaux luxembourgeois sur base d’un accord-cadre similaire signé entre partenaires sociaux au niveau européen. Cet accord propose notamment des mesures de prévention et de suivi des actes de violence en entreprise à mettre en œuvre par l’employeur en consultant les représentants du personnel.

3. Harcèlement moral et sexuel

Les conséquences du harcèlement sont bien souvent dramatiques, et quelquefois irréversibles.

Le harcèlement moral est également l’objet de la convention du 25 juin 2009 relative au harcèlement et à la violence au travail signée par les partenaires sociaux luxembourgeois. Selon cet accord « le harcèlement moral se produit lorsqu’une personne relevant de l’entreprise commet envers un travailleur ou un dirigeant des agissements fautifs, répétés et délibérés qui ont pour objet ou effet :

  • soit de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité ;
  • soit d’altérer ses conditions de travail ou de compromettre son avenir professionnel en créant un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ;
  • soit d’altérer sa santé physique ou psychique ».

Le harcèlement sexuel est l’objet de la loi du 26 mai 2000 concernant la protection contre le harcèlement sexuel à l’occasion des relations de travail. Selon cette loi « constitue un harcèlement sexuel à l’occasion des relations de travail … tout comportement à connotation sexuelle ou tout autre comportement fondé sur le sexe dont celui qui s’en rend coupable sait ou devrait savoir qu’il affecte la dignité d’une personne, lorsqu’une des conditions suivantes est remplie :

  • le comportement est non désiré, intempestif, abusif et blessant pour la personne qui en fait l’objet ;
  • le fait qu’une personne refuse ou accepte un tel comportement de la part de l’employeur, d’un travailleur, d’un client ou d’un fournisseur est utilisé explicitement ou implicitement comme base d’une décision affectant les droits de cette personne en matière de formation professionnelle, d’emploi, de maintien de l’emploi, de promotion, de salaire ou de toute autre décision relative à l’emploi ;
  • un tel comportement crée un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant à l’égard de la personne qui en fait l’objet ». (le comportement peut être physique, verbal ou non verbal)

Les formes plus spécifiques du harcèlement discriminatoire (loi du 28 novembre 2006) et du harcèlement obsessionnel (loi du 5 juin 2009 visant le phénomène du « stalking ») font l’objet de lois à part qui peuvent aussi être appliquées dans certains cas du harcèlement au travail.

4. Épuisement professionnel

L’épuisement professionnel appelé « burnout » par les anglo-saxons s’exprime par un ensemble de réactions consécutives à des situations de stress professionnel prolongé. Il se manifeste par un épuisement physique, mental, émotionnel, un désintérêt profond pour le contenu de son travail et la dépréciation de ses propres résultats. Il survient généralement après un investissement personnel et affectif important dans l’activité professionnelle, et soudain cet investissement devient trop lourd à porter (mais ce n’est pas systématique). Il a d’abord été repéré dans des professions d’aide, de soins ou de formation (médecins, infirmières, enseignants, travailleurs sociaux,…) mais il peut concerner d’autres professions.

5. Conduites addictives

Les conduites addictives sont des comportements d’accoutumance et de dépendance, qui entraînent une compulsion à prendre une substance de façon continue ou périodique, pour en ressentir les effets psychiques et éviter l’inconfort de son manque (symptôme de sevrage). Les produits concernés sont le tabac, certaines drogues, l’alcool, les médicaments psychotropes. En consommant la substance, le salarié cherche à décompresser, à mettre ses problèmes à distance, à « suspendre » le temps, à se désinhiber, à se concentrer…

L'organisation du travail : levier principal de la prévention

Les situations de « stress », « harcèlement », « violences », « épuisement professionnel » et « conduites addictives » au travail ne sont pas indépendantes les unes des autres. Les mêmes facteurs organisationnels ou psychosociaux peuvent être à la source des cinq situations. De plus, une situation peut être à l’origine d’une ou de plusieurs autres situations (p.ex. une situation de travail à risque de stress élevé favorise les cas de harcèlement et une situation de harcèlement subie ou observée entraînera chez la victime et l’entourage un état de stress).

Par ailleurs, on constate que beaucoup de tensions à l’origine de troubles psychosociaux ne sont pas causés par des problèmes uniquement individuels. En général, si la perception des réalités de l’entreprise par un salarié est un processus subjectif, le partage de cette perception par plusieurs ou par l’ensemble des salariés en fait un constat objectif voire une réalité de l’entreprise. L’argument de la subjectivité pour refuser des constats de tensions psychosociales ne tient donc pas la route car elle viserait à ignorer tout simplement la réalité psychosociale d’une entreprise.

Les interventions en prévention des problèmes psychosociaux au travail répondent généralement à des problèmes d’ordre organisationnel. Et si l’organisation n’est pas nécessairement la cause des problèmes psychosociaux au travail, elle fait toujours partie des solutions. L’objectif de la démarche de prévention est de réduire les tensions et de les réguler à ce niveau.

Trois niveaux de prévention à combiner :

Les études sur les démarches d’entreprises montrent, que pour être efficace, il convient de donner la priorité aux actions de prévention primaire (actions ciblées sur les causes dans l’organisation) sur les actions de prévention secondaire (actions à destination des salariés pour « gérer »  les situations problématiques) ou tertiaire (actions pour accompagner les salariés en difficultés). Cependant, dans bien des cas, la combinaison de ces trois types d’actions est utile.

Une démarche stratégique pour prévenir les problèmes psychosociaux au travail

La prévention des problèmes psychosociaux au travail ne doit pas se répliquer sur celle d’une autre organisation. Il est essentiel de développer une stratégie précise qui correspond aux réalités de l’organisation. Pour l’élaboration d’une démarche stratégique de prévention il y a en général 5 étapes à respecter.

1. La préparation de la démarche

Avant d’entreprendre une démarche de prévention, il faut s’assurer que toutes les conditions de succès sont rassemblées. Ces principales conditions sont :

  • l’établissement de valeurs fondamentales et d’objectifs précis pour encadrer la démarche ;
  • l’engagement de tous les partenaires de l’organisation : dirigeants, gestionnaires, employés et syndicats ;
  • mettre sur pied un groupe de travail ;
  • la disponibilité de ressources financières et humaines ;
  • la nomination d’un chef de projet solide afin de conduire une démarche souvent considérée comme secondaire ;
  • la réalisation d’un plan de communication transparent et qui fait consensus.

2. L'évaluation de l'ampleur du problème et l'identification des risques

Afin d’étayer la nécessité d’agir et pour contrer les préjugés associés aux problèmes psychosociaux, il est essentiel de bien connaître l’ampleur des problèmes et d’être bien informé de la nature de ces problèmes dans le quotidien. Ces deux objectifs peuvent être atteints en tenant compte des points suivants :

  • être bien informé des signaux individuels qui peuvent se manifester ;
  • avoir et bien utiliser les données administratives permettant de mesurer l’ampleur du problème et les « points chauds » de l’organisation (p.ex. : statistiques des absences au travail, indicateurs clés de performance, taux de roulement, coût des assurances, nombre de plaintes…) ;
  • effectuer un sondage afin d’obtenir un portrait détaillé des facteurs de risque et de leurs conséquences.

3. L'identification des problèmes concrets

Il s’agira ensuite de déterminer quelles sont les raisons (présence de facteurs de risque) qui expliquent la présence des problèmes psychosociaux dans l’organisation. Il est important de dépasser la seule identification des facteurs de risque et de cibler précisément les problèmes concrets. Voici quelques indications à suivre :

  • se doter de moyens simples, mais valides, pour mieux comprendre les causes et conséquences humaines et organisationnelles des problèmes de santé psychologique au travail (p.ex. questionnaire aux travailleurs, entretiens de groupes focalisés) ;
  • dresser un portrait des problèmes concrets présents dans l’organisation ;
  • prendre conscience qu’à travers les pratiques de gestion et les pratiques de travail, nos comportements, paroles et décisions peuvent constituer des facteurs de risque ou des facteurs de protection de la santé.

4. L'élaboration des solutions

La recherche de solutions doit également faire l’objet d’une démarche spécifique permettant de bien associer facteurs de risque – problèmes concrets – solutions. Les activités de prévention doivent épouser parfaitement les réalités organisationnelles plutôt que d’utiliser des approches préétablies. Il est également essentiel de combiner des interventions de niveaux primaire, secondaire et tertiaire. Les points suivants sont à considérer :

  • déterminer (les partenaires de l’organisation ensemble) les zones d’intervention possibles et les zones d’intervention plus difficiles ou impossibles afin de ne pas créer d’attentes qui ne pourront pas être satisfaites ;
  • prendre conscience de bien ajuster les solutions au contexte organisationnel ;
  • établir des priorités et sélectionner les solutions appropriées ;
  • s’assurer de la participation de tous les partenaires de l’organisation dans la mise en œuvre des solutions (les employés, les dirigeants, les syndicats, les gestionnaires…)

5. L'implantation des actions et l'évaluation des impacts

L’identification des solutions ne met pas fin à la démarche, il faut poursuivre le travail en établissant précisément les plans d’action qui permettent le passage de la solution aux actions. L’évaluation des  effets doit aussi être planifiée dès cette étape. Les aspects à considérer sont :

  • l’établissement d’un plan d’action détaillé ;
  • l’identification des critères de succès et d’échec des actions à implanter ;
  • l’élaboration d’une méthode de suivi ;
  • l’évaluation des actions réalisées.

Cette construction du plan d’actions doit spécifier ce qui doit être mené de façon prioritaire, pour chaque niveau de prévention. Les actions seront alors construites en définissant, paritairement toujours, les secteurs concernés, les responsables des actions et tout ce qui fait partie de ce type de conduite de projet (budget, délais, modalités de suivi, d’évaluation, etc.).